L'un des 9 dessins de Paul de Pignol pour
Le long du corps, de Michel Butor

(L'Instant perpétuel, 2015)

L'un des 9 dessins de Paul de Pignol pour
Le long du corps, de Michel Butor

(L'Instant perpétuel, 2015)

L'un des 9 dessins de Paul de Pignol pour
Le long du corps, de Michel Butor

(L'Instant perpétuel, 2015)

Paul de Pignol. Grande racine

2010
Sanguine

Paul de Pignol. Figure
2012
Monotype

Paul de Pignol. Figure bubonesque

2002

Crayon sur papier

15 x 15 cm

L'une des aquarelles de Paul de Pignol pour

Solitudes enchevêtrées, de Michel Butor
(L'Instant perpétuel, 2015)

Versant I
L'une des compositions de Paul de Pignol pour

Etant l'Etna, de Michel Butor
(L'Instant perpétuel, 2013)

Figure d'étoiles
L'une des compositions de Paul de Pignol pour

Plainte, de Michel Butor
(L'Instant perpétuel, 2012)

 

 

 

Paul de Pignol. La chute de Lucrèce

2012

Bronze

4 ex. + 2 EA

27 x 11 x 13 cm

Paul de Pignol. Petit Gisant

2012

Bronze

4 ex. + 2 EA

22 x 16 x 5 cm

Fonte Paumelle

Trois Vénus de roche de Paul de Pignol

Paul de Pignol. Figure  de Roche III

2008

Bronze

32 x 6 x 7 cm

4 ex. + 2 EA

Paul de PIGNOL. Figure  de Roche III

2008

Bronze

32 x 6 x 7 cm

4 ex. + 2 EA

Paul de Pignol. Ces bras qui m'encombrent II

2006

Bronze

4 ex. + 2 EA

150 x 30 x 27 cm

L'atelier de Paul de Pignol

2012
Photo Esther Van Weelden

Paul de Pignol




Pignol : Dans la rondeur de l'origine, par Zoé Balthus




Lucrèce (Dessin à la sanguine - 2010) Paul de Pignol

 

« Les images de la rondeur pleine nous aident à nous rassembler sur nous-mêmes, à nous donner à nous-mêmes une première constitution, à affirmer notre être intimement, par le dedans. Car vécu du dedans, sans extériorité, l’être ne saurait qu’être rond. »
Gaston Bachelard, in La poétique de l’espace.

L’œuvre de Paul de Pignol s’inscrit définitivement dans la sphère que le philosophe saisit ici. C’est bien par la rondeur que, de sculpture en sculpture, de dessin en dessin, l’artiste exprime obstinément la prolifération infinie de l’être, le fourmillement cellulaire du monde. Son geste épouse toutes les courbes fécondes de cette intimité, en fait bruire les ondes instables, déploie ses masses circulaires, soudent ses noyaux de chair.

A la découverte de son travail, les mots de Vincent Van Gogh, écrits en 1888 dans une lettre à Emile Bernard et qui ont enrichi la pensée de Bachelard, reviennent en mémoire :

  « La vie est probablement ronde, et très supérieure en étendue et capacité à l'hémisphère qui nous est à présent connu. »
De fait, l’artiste fait naître des corps sous des formes rebelles, globuleuses, monstrueuses, d’où sourd le désir de mettre au jour le moindre atome de l’univers, chacune des gouttes d’un sang fluide, chaque cellule d’un grand tout. Davantage en quête métaphysique, voire mystique plutôt qu’esthétique, il fouille les sphères de matière, extrait les substances terreuses, révèle la densité des figures multipliée à l’infini. Ses gravitations de cire modèlent l’origine, en fixent les racines au-delà des territoires connus.

« Il s’agit d’extraire. Je libère l’informe de l’intérieur, et j’ajoute de la lumière, j’accentue la forme […] La touche de cire s’ajoute à une touche, et ainsi de suite… L’informe doit l’emporter sur les formes attendues », expliquait le sculpteur à Christian Noorbergen lors d’un entretien paru ce mois-ci dans le magazine Artension.

Le plasticien exhibe des traversées d’entrailles, des oscillations meurtrières, des vibrations sanguinaires sous la lame d’un poignard invisible à l’heure du drame mythique. Il ouvre des passages au milieu des poitrines, d’où jaillit le cœur gros de la cruauté des hommes. Il éventre, il entaille. « Il y a quelque chose de sacré là-dedans », dit-il.


Figure (2011) Paul de Pignol

 

Mais Paul de Pignol sait également puiser dans la rondeur une éblouissante douceur d’ange qui s’épanouit dans le dessin de corps étranges que l’on dirait conçus par les nuages et les étoiles, « suivant les règles de la poésie cosmique », dirait encore Bachelard. L’artiste admet y voir parfois des constellations.

Zoé Balthus



 

 

 

 Pignol : Le chant sacré de Gaïa

 


Vénus X - 1999
Vénus XI - Bronze - 1999 -Paul de Pignol



« Je suis seul, semble dire l’objet, donc pris dans une nécessité contre laquelle vous ne pouvez rien. Si je ne suis ce que je suis, je suis indestructible. Etant ce que je suis, et sans réserve, ma solitude connaît la vôtre. »
L’atelier d’Alberto Giacometti, Jean Genet (Ed. L’Arbalète)

Gaïa engendre nos solitudes depuis la nuit des temps. De ses entrailles mystérieuses, nous venons au jour soumis à la nuit, seulement ornée de l'impérieuse absence au précieux rayonnement de l'invisible présence. Tenus par la nostalgie de sa chair  –, celle de cette mère indifférente à notre misérable errance, de son ventre protecteur dont il ne nous reste que la certitude d’en être issus, expulsés dans l'amnésie de sa matrice inaccessible, maintenus dans l’ignorance absolue et révoltante du sens de nos existences de monstres, – il ne nous reste plus qu’à guetter les signes qui nous rassureraient, ceux que la déesse-mère ne saurait manquer d’adresser à ses enfants, plongés dans l’obscurité, afin qu’ils s’orientent sur un chemin qui les ramènerait enfin à elle, Gaïa, et trouver en son sein pleine lumière.

Le sculpteur Paul de Pignol l’invoque et la provoque, sans relâche, par la sculpture et le dessin, lui voue un culte inébranlable. Elle est plus que sa muse, elle est son obsession. Il la nomme Vénus, mère et amante. Il tente de la faire apparaître, de lui offrir corps et âme, chair et parole, cellule par cellule, goutte de sang par goutte de sang, sous des doigts assurés d’une émouvante obstination, fous de délicatesse amoureuse, parfois tremblants de l’impatience et la puissance du désir. Seulement, entre les griffes des ténèbres, la femme absolue, la déesse-mère qui jamais ne se dévoile, demeure l'essentielle prisonnière, vouée à la reproduction perpétuelle. De haute lutte, l’artiste entend bien l’y soustraire ne serait-ce qu'un instant et s’il parvient à tirer de cette profonde nuit d’extraordinaires créatures, comme autant d’ombres tragiques de Gaïa, le mystère de sa Vénus ne s’en épaissit que davantage et l’obsession décuple.

De fait, ces formes totémiques de bronze, d’une beauté sans visage, terrible et parfois menaçante, extraites du néant, exhibant une multitude d’excroissances, de courbes et de rondeurs organiquement féminines, toutes figées sur leur base, enracinées dans le ventre de la terre mais résolument dressées vers le ciel, isolées ou en groupes, toutes imposent la présence surnaturelle, solennelle, inquiétante de la mère originelle.

Elles bruissent, elles chuchotent, certaines crient, d’autres rient ou pleurent, chacune appelle et s’exprime en ce langage pur et majestueux qui se passe des mots et que nous comprenons, que nous portons ancré dans les tréfonds de l’être. Immanentes à Gaïa, elles sont ses messagères venues adresser à Paul de Pignol, qui convoque avec fascinante ferveur l’éternel féminin, son hymne  de Profundis*.

« Au monticule
Décharges
Tout s’écoule
Tout fuit
Le monticule s’écroule
Décharges au-dedans
Décharges au-dedans
Tout s’écoule
Tout m’échappe
Je m’écroule
Au-dedans mes larmes coulent
Je m’écroule au-dedans
Le flux d’en-dedans
Coule et germe
Je m’écoule et je donne
Au-dedans le germe
Pousse la larme au-dedans
Du germe
Je m’écoule
Le germe
La larme coule au-dedans
Et germe
La bave des germes
Lave les larmes des larves. »

Lacrima
Lacrima - 2002 - Paul de Pignol

Par la grâce des Vénus, l’artiste fond dans le bronze le chant sacré de Gaïa, hymne à la vie, louange du chaos de l’origine, célèbre la fécondation divine, grave, l’union sacrée du ciel et de la terre, essentiel équilibre de l’organisme unique, l’unicité de l’Etre universel.

« Au fil de l’œuvre, la béance utérine de sa matrice enfle, s’élargit, creusant un sillon profond de ses entrailles jusqu’au haut du corps, sillon bordé de lèvres tuméfiées, géantes dans lesquelles semble s’engouffrer le Vide (Chaos) », entend Fabrice Lebée dans un ouvrage qu’il a consacré à l’œuvre de Paul de Pignol qu’il collectionne avec passion et confronte à la Vénus de Sandro Botticelli.

« L’homme moderne de Botticelli s’envisageait au centre; Paul de Pignol le remet dans l’axe, écrit-il plus loin, un champ nouveau se libère dans la matière informe des Vénus et déborde infiniment celui d’une problématique ontologique. Ici, l’essence divine se porte dans l’altérité qui nous prédispose au sens. Et son expression révélée, phénoménologie, est la Vie. »

Attentif aux moindres signes tel un aveugle, le sculpteur poursuit l’exploration de l'étrange voie qui le conduit à Gaïa, y pénètre par la faille sensuelle et vertigineuse ouverte par ses émissaires à son dessin.

D’une élégante dévotion, le trait habile du maître s’immisce, fouille l’intimité même de leur matière et dévoile encore et toujours cette foison de cercles fondamentaux, parfaite rondeur de l’enfantement d’un monde, sans cesse renouvelé. Il s’insinue au sein de cette mystérieuse gestation de vie, bouillonnante, vouée aux métamorphoses jusqu’à la mort, ultime nécessité à la résurrection, inhérente à la conception de l’Un infini.

Le chant sacré de Gaïa trouve sa naturelle délivrance dans cette poignante œuvre de chair.

Zoé Balthus


De Profundis*, Paul de Pignol (Ed. D’En Face)
Vénus ou le Mythe aliéné, Sandro Botticelli – Paul de Pignol, Fabrice Lebée (Ed. D’En Face)